Pr. Philippe NOUDJENOUME

LES ETATS GENERAUX DU PEUPLE, UNE SEULE EXIGENCE, TROIS POSITIONS CONTRADICTOIRES.

                                                                    

Les 10, 11 et 12 Octobre 2019, se sont tenues dans notre pays, trois assises : le Dialogue politique du Président Talon, les Assises de la Résistance Nationale  tenues au « Chant d’Oiseau», les Assises Populaires de la Bourse du Travail, tenues le 11 Octobre sous l’égide de la CSTB, ensemble avec  les différentes assises populaires régionales du samedi 12 Octobre à travers le pays.

 Ces différents Forums  ne peuvent être considérés comme des évènements ordinaires  tels que l’on l’observe dans la vie politique de notre pays. Il s’agit d’assises expressives des positionnements politiques des diverses classes et couches sociales en lutte  pour le contrôle du présent et de l’avenir de notre Patrie.

 

A regarder les choses de près, l’ensemble de ces Assises a pour Axe, la question de la définition d’un meilleur vivre ensemble, autrement dit  des questions relevant d’une Assise Nationale ou des Etats Généraux mis à l’ordre du jour depuis 2015.

Tous sans exception admettent que le pays va mal ou qu’un malaise règne dans le pays. Tous, y  compris le Chef de l’Etat dans son discours d’ouverture de son « Dialogue Politique », lorsqu’il déclare que la mise en œuvre des réformes a provoqué des déchirures sociales « au point de compromettre notre cohésion » ou lorsqu’il dit : « Nous, acteurs politiques, avons semé à notre propre égard, le doute, la méfiance et la défiance dans l’esprit de nos concitoyens ».  Face à ce constat,  exigeant la tenue d’une  Assise Nationale ou « Etats Généraux », les Forums  des 10, 11 et 12 Octobre 2019 se présentent comme des réponses, et revêtent des caractères de trois mini-Assises ou mini Etats Généraux » dont  je veux ici décrypter les objectifs et intérêts respectifs.

1°- Le Dialogue Politique du Gouvernement de Patrice Talon.

C’est clair et sans ambiguïté. Le Dialogue Politique de Patrice Talon se veut une anti-Assise Nationale, un Rejet catégorique d’une Assise nationale. Le Président Talon l’a affirmé à maintes reprises. Pas d’Assises nationales au Bénin. Son Porte-Parole,  le ministre de la Communication, Orounla, l’a martelé : « Il ne s’agit pas d’assises nationales mais d'un Dialogue Politique réunissant seulement des partis politiques reconnus avec pour mission de « toiletter les deux lois électorales ». Les conclusions issues de cette assise expriment un objectif clair, celui d’un renforcement de l’Autocratie à travers l’imposition prochaine au Peuple d’une Constitution autocratique, en remplacement de la Constitution démocratique actuelle et ce,  par voie de révision parlementaire.

2°- Les Assises Nationales de l’Opposition Politique.

Incontestablement, elles se veulent des « Assises Nationales » et la proclamation qui leur sert de base en est l’expression : « A l’initiative des partis politiques, des forces vives de la Nation et des personnalités et forces politiques demeurées fidèles au Peuple démocratique du Bénin, les assises de la Résistance nationale… »

Ce Forum de la «  Résistance  Nationale » réunit, en effet, deux grandes Composantes de l’Opposition que sont : la première, constituée des partis et personnalités de la fraction de la classe dirigeante qui a eu à exercer le pouvoir dans le pays et qui, aujourd’hui, en est privée et de fait confinée à l’opposition. La deuxième, celle de la démocratie révolutionnaire avec une grande mouvance populaire ayant comme épicentre la Convention Patriotique des Forces de Gauche avec le PCB comme moteur.

A l’analyse, les conclusions issues des Assises de la Résistance nationale expriment les objectifs suivants :

1°-La défense et la préservation des Acquis de la Conférence Nationale et de la Constitution du 11 décembre 1990 contre les lois  autocratiques du pouvoir de Talon.

2°-La dénonciation de la vassalisation de toutes les institutions constitutionnelles au pouvoir autocratique (Assemblée croupion, Cour constitutionnelle à ordre, etc.) et l’exclusion de toutes les autres fractions de la classe dirigeante de l’exercice du pouvoir avec des élections exclusives.

3°-La stigmatisation du  caractère clanique de la gouvernance économique de Patrice Talon à l’exclusion des autres, notamment possesseurs de capitaux.

Tout cela est une bonne chose du point de vue démocratique générale. Il  a recueilli  l’accord de toutes les composantes de l’ensemble de l’Opposition démocratique (y compris la mouvance révolutionnaire) contre la destruction programmée de notre système démocratique par le Président Talon et la mise en coupe réglée  de toute l’économie nationale.

Mais en fait,  les exigences de la Résistance sont davantage celles de la Fraction de la Classe dirigeante non au pouvoir et qui est  en lutte pour la reconquête du pouvoir perdu.  Voilà pourquoi  ces exigences ne traitent que les problèmes du haut, des questions de la lutte pour le pouvoir au sommet ; elles ne pipent mot de la réorientation nécessaire de notre économie, le passage de l’économie de traite actuelle  à une économie de production et de patriotisme. Elles ne parlent pas du tout ou très peu des conditions matérielles de vie des hommes du peuple qui luttent et sont en butte à la répression autocratique comme les enseignants suspendus. Lorsqu’il  est arrivé de préconiser la création « d’un « Fonds national de solidarité » c’est seulement pour venir «  en aide aux orphelins de nos compatriotes assassinés » (ce qui en soi est une très bonne chose), mais l’on oublie totalement  la vie des combattants de l’autocratie qui luttent et qui souffrent.

En fait, du point de vue des expressions de classes, les exigences de la « Résistance » demeurent dans le champ du pacte colonial en œuvre depuis 1960. Les vues se résument à la défense de la démocratie, même si celle-ci s’exerce comme dans une prison sous contrôle français comme l’Etat du Bénin, une néo-Colonie de la France.

C’est une position de conservatisme  du passé qui ne fait pas avancer le pays vers un mieux-être individuel et collectif.  C’est une position  du retour à l’ancien ; à ce qui se fait depuis 1960;  le retour à la situation avant Talon. Avec le triomphe de ces vues, nous assisterions comme à un éternel recommencement.

3°- La Position des Forces révolutionnaires et populaires.

Les positions des deux fractions de la haute bourgeoisie se joignent sur deux points : l’absence du patriotisme et un mépris pour les conditions des masses et les luttes populaires.

Le patriotisme, en termes simples, c’est le pays d’abord. C’est pour assurer la souveraineté, la protection et la propriété du pays que les hommes et les femmes ainsi que leurs organisations ont besoin de liberté, d’éducation, de promotion et de protection.

C’est en vue d’assurer la grandeur de leur pays et la survie de ses enfants, que les hommes et femmes ont besoin de liberté et d’assistance pour produire et vendre.

Et pour garantir que les objectifs de patriotisme seront sauvegardés, il faut écouter, toujours écouter ceux qui sont la grande majorité qui souffrent et se plaignent et qui chaque jour luttent pour transformer le présent mauvais en avenir meilleur. Car ceux-là aiment leur pays et ne l’abandonnent jamais, ne le livrent jamais.

Le patriotisme et l’appui sur les luttes populaires, c’est la ligne de démarcation entre les hauts bourgeois et les assises populaires.

Trois séries d’Assises ponctuent cette Position. La plus marquante est sans conteste l’Assemblée  Générale des travailleurs, de la jeunesse, et des femmes des marchés organisée par la CSTB, le Comité National des Revendeurs, Vendeurs, Artisans et Artisanes du Bénin (CONARAB) avec madame Thérèse WAOUNWA, le Comité de Soutien aux Détenus et Exilés Politiques (CSDEP), l’Union Nationale des Scolaires et Etudiants du Bénin (UNSEB), Assemblée réunie  à la Bourse du Travail le vendredi 11 octobre 2019, dont on cite quelques-unes des  conclusions : « En vue de mettre fin à la gouvernance autocratique de Patrice TALON pour une gouvernance  démocratique, patriotique et de probité, l’Assemblée Générale a vu l’urgence d’arrêter cette gouvernance scabreuse en s’appuyant sur les propositions faites par le Professeur Philippe NOUDJENOUME, Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin (PCB), Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche dans son document intitulé : « Propositions pour une réorientation du modèle économique et politique du Bénin ».

Avec les points nodaux suivants : mettre fin à la gouvernance basée sur le pacte colonial. Ainsi donc, il faut :

Au plan politique :

- œuvrer à la restauration de l’Etat de droit, de la démocratie et des libertés politiques avec consécration de la souveraineté nationale (abrogation de toutes les lois scélérates) ;

- instaurer la représentation des travailleurs de toutes les couches du public et du privé, de la jeunesse, des femmes et de toutes les autres catégories socio-professionnelles à l’Assemblée Nationale ;

- créer une chambre des autorités traditionnelles au parlement (chargée d’étudier la conformité des lois votées avec nos traditions positives) ; avec la prise  des mesures urgentes portant, entre autres, 

  • amnistie générale avec libération immédiate des détenus politiques et retour des exilés politiques ;
  • suppression de toutes les lois et décrets liberticides et d’exclusion sociale (loi portant charte des partis politiques, loi portant code électoral, loi portant code pénal, loi portant création de la CRIET, loi sur la grève, lois sur les autres droits syndicaux, sociaux et politiques, etc.)

Au plan économique

- produire et  transformer les matières premières chez nous pour créer des emplois pour la jeunesse avant toute exportation ;

- promouvoir les opérateurs économiques afin de développer la production nationale pour la consommation et l’exportation en utilisant les connaissances scientifiques et techniques, dernier cri ;

- créer une banque d’Etat pour des crédits aux opérateurs économiques en vue de l’industrialisation de notre pays ;

Etc.

Tout ceci en vue de la convocation d’une « Assise Nationale des Forces organisées de travailleurs, d’employeurs et des nationalités pour l’élaboration d’une Nouvelle Constitution, expression d’un nouveau vivre ensemble sans fractures et exclusions sociales ».

Comme on le voit, il s’agit là de trois assises, de trois positions portant trois programmes politiques différents et contradictoires.  Si les deux premières relèvent davantage des différentes fractions de la classe dirigeante haute bourgeoise,  qui s’occupent très peu des conditions de vie des travailleurs et du peuple, celle de la Convention Patriotique des Forces de Gauche avec le Parti Communiste du Bénin au Centre se démarque nettement par son caractère novateur, populaire et surtout patriotique.

Cotonou, le 22 Octobre 2019.

Pr. Philippe NOUDJENOUME

Cliquer ici pour télécharger le document