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Une élection ni libre, ni sincère

Eu égard à la promesse de fair-play faite par les deux candidats lors du débat radiotélévisé à la veille du deuxième tour, présenté comme une leçon de démocratie pour les autres élections présidentielles africaines (dont le principe implicite semble d’éviter un débat public contradictoire entre les deux candidats), cette crise semble surprenante. Les violences, parfois meurtrières, signalées pendant la campagne du deuxième tour étaient interprétées comme des faits qui ne compromettaient pas la suite des événements. Les résultats du premier tour n’ayant fait l’objet d’aucune contestation, malgré quelques irrégularités, les « observateurs » n’auraient prévu ni le blocage de la publication des résultats, ni les proclamations contradictoires de la Commission électorale indépendante (CEI), en charge de la proclamation des résultats provisoires, et du Conseil constitutionnel (CC), en charge de la proclamation des résultats définitifs à certifier par la Mission des Nations unies.

Mais les résultats proclamés par la CEI, annonçant la victoire d’Alassane Ouattara, ont été certifiés par la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire alors que le CC a attribué la victoire à Laurent Gbagbo, après déduction des présumées fraudes, qui auraient été constatées dans certains départements septentrionaux considérés comme fiefs du candidat Alassane Ouattara.

Le règlement de ce contentieux électoral était compromis par ce que l’ancien Secrétaire général d’Amnesty international, le Sénégalais Pierre Sané, a nommé les « quatre anomalies/erreurs qui ont (…) entrainé des dysfonctionnements menant à l’échec programmé du processus » |1| :

1. Le non-respect de la clause de désarmement des FAFN stipulée par l’Accord politique de Ouagadougou ;

2. La représentation majoritaire de l’opposition dans la Commission électorale indépendante devant décider par consensus et présidée par un membre de l’opposition, ayant abouti à la proclamation non consensuelle des résultats provisoires – ainsi devenus définitifs – au présumé quartier général du candidat Alassane Ouattara (Hôtel du Golf) ;

3. La rapidité et la rigidité dont a fait preuve le Conseil constitutionnel, présidé par un proche du Président-candidat Laurent Gbagbo |2|, pour annuler les scrutins incriminés et procéder automatiquement « au redressement des résultats aboutissant à la proclamation de Laurent Gbagbo comme vainqueur » |3|, ayant « inévitablement créé une suspicion de partialité » ;

4. La précipitation manifestée par le représentant des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire dans la certification des résultats provisoires de la CEI, en ignorant l’étape de consolidation de ces derniers par le Conseil constitutionnel, contrairement à la procédure suivie pour la proclamation des résultats du premier tour.

On pourrait dire que l’ancien Secrétaire général d’Amnesty International se livre à une critique facile a posteriori, s’il n’y avait des mises en garde réitérées, depuis deux ans, de l’International Crisis Group (ICG), actuellement présidé par Louise Arbour, juriste canadienne et ancienne Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. Cette ong transnationale, qui ne peut être soupçonnée d’opposition à l’ordre international actuel, avait pointé du doigt, en 2008, la difficulté d’organiser des élections crédibles sans le « désarmement des ex-rebelles et des miliciens, et leur réinsertion ou leur intégration dans la vie civile ou militaire » |4|, en particulier des FAFN. C’était l’un des « deux volets essentiels » de l’APO, demeuré irrésolu |5|. En novembre 2010, avant le second tour, l’ICG relevait les dangers qui planaient sur ses résultats : « Si Gbagbo l’emporte, il pourrait être confronté à Abidjan et dans les grandes villes du pays à des manifestations spontanées de jeunes militants (…) Si Ouattara gagne l’élection, les durs du camp présidentiel pourraient, quant à eux, être tentés de créer une situation insurrectionnelle, avec l’aide des “jeunes patriotes” et miliciens qu’ils contrôlent encore à Abidjan et des forces de sécurité qui leur sont dévouées, et de chercher à rester au pouvoir, en présentant le président Gbagbo comme le seul garant de l’ordre et de la sécurité. (…) Au Nord, des éléments de la branche militaire des FN pourraient aussi mal réagir à une victoire de Gbagbo. Ils craignent une vague de représailles en cas de réélection du président sortant. L’un des principaux chefs de la rébellion a déclaré à Crisis Group “qu’il sera difficile de se sentir en sécurité au sein d’une armée unifiée, si Laurent Gbagbo est élu” et qu’il sera “obligé d’aller vivre ailleurs ou de changer de métier”. L’aile militaire et provinciale des FN s’inquiète, en outre, qu’aucun des deux candidats n’évoque dans sa campagne l’avenir de ces forces et celui de leurs hommes. Cette aile dure obéit de moins en moins aux ordres de la branche politique du mouvement, confortablement installée à Abidjan autour de Guillaume Soro. » |6|

Les institutions détenant le pouvoir décisionnel n’étaient pas épargnées : « La Commission électorale indépendante (CEI) a aussi fait preuve de fébrilité lors de la centralisation et de la vérification des résultats. Elle a omis d’informer le public sur l’avancée de ses opérations pendant près de 48 heures, ouvrant ainsi une période lourde de rumeurs et de dangers. Si elles n’étaient pas corrigées, ces anomalies pourraient compromettre la crédibilité du second tour et donner des arguments à l’un ou l’autre camp pour contester les résultats. » |7| Était aussi épinglée la complexité confuse des dispositions légales de recours.

Autrement dit, les conditions d’un scrutin serein n’étaient pas réunies ou plutôt les ingrédients d’une crise post-électorale étaient clairement réunis. Quoi de mieux, dans la logique politicienne, partagée par les deux candidats, qui sont en conflit — y compris armé — pour le pouvoir, depuis une décennie, que de laisser les élections se dérouler dans un cadre qui favorise la contestation éventuelle des résultats et l’impasse juridique.