Séance à propos de la revalorisation des salaires des travailleurs au Bénin
Une mise en scène de Patrice TALON


Le mardi 26 avril 2022 a eu lieu la séance de négociations du Gouvernement avec les représentants des centrales syndicales représentatives. Cette séance qui ouvrait une session ordinaire avait été déjà transformée en une session spéciale sous la direction du Chef de l’Etat, au palais de la République et autour d’un seul point à l’ordre du jour : revalorisation du SMIG et des salaires. Il faut préciser que cela a été promis et annoncé urbi et orbi par le pouvoir depuis décembre 2021.


Du compte rendu des responsables syndicaux de cette séance dite de revalorisation des salaires, on peut retenir ce qui suit :
1-A propos du déroulement, écoutons quelques aspects donnés par Noël Chadaré, un soutien du pouvoir : « Aujourd’hui a été une séance d’échange avec le Chef de l’Etat… Il a parlé de combien nous voulons que le SMIG soit ; qu’est-ce qu’il faut privilégier entre recruter les travailleurs, recruter les chômeurs dans la fonction publique et augmenter les salaires ? Qu’est-ce qu’il doit privilégier ? Qu’est-ce qui doit être plus important que l’autre ? Ou bien c’est la même chose…Autres éléments aussi, c’est que le Chef de l’Etat voulait savoir s’il ne faudra pas plutôt penser à l’équipement des hôpitaux, des écoles, etc…Il voudrait avoir notre avis sur la part que cela peut prendre dans la cagnotte qu’ils ont sortie pour les travailleurs… » (Cf. "Le Matinal", n° 6325 du 27 avril 2022).


2- A propos des résultats :
* En ce qui concerne le Smig : Augmentation du SMIG de 40.000 à 52.000 FCFA avec l’exigence pour les employeurs de souscrire l’assurance santé obligatoire pour les salariés à compter du 1er janvier 2023.


* En ce qui concerne le reste des salariés :
- Dans le secteur privé : « Le Chef de l’Etat a dit qu’il ne veut pas hiérarchiser les salaires… le gouvernement décide donc de suspendre le principe d’une hiérarchisation automatique des salaires après le relèvement du Smig au Bénin. » ("Le Matinal" du 27 avril 2022)
- Pour les fonctionnaires : « Pour ce qui concerne la revalorisation des salaires et pensions des agents de l’Etat, le principe de la revalorisation du point indiciaire a été retenu en plus d’un surplus de salaire qui sera progressif en quittant le salaire le plus haut pour le salaire le plus bas. » (Cf. Communiqué CSTB du 26 avril 2022).


« Une cagnotte globale sera dégagée et sera répartie entre augmentation de salaires, amélioration de la situation des AME et recrutement des jeunes ; le montant de cette cagnotte n’a pas été communiqué. ….Les pourcentages à appliquer à chaque palier seront examinés au cours d’une autre séance de la commission » (Extrait du communiqué de la CSA du 26 avril 2022).


3- Date de mise en œuvre : « Il ressort des conclusions faites par le chef de l’Etat que concernant les agents de l’Etat, aucune revalorisation ou augmentation de salaire ne sera possible avant octobre 2022, à cause de l’instabilité des prix des produits importés, due à la guerre russo-ukrainienne et aux exigences du FMI. » (Cf. Communiqué de la CSTB).


Nous avons voulu restituer les éléments principaux de cette séance dite de revalorisation des salaires avec les comptes rendus des représentants syndicaux, car pour quiconque a suivi la campagne orchestrée par Talon, ses ministres et ses zélateurs, on en croirait pas ses yeux ni ses oreilles. « Tout ça pour ça ? C’est une torture, s’agissant de la vie des hommes, femmes et enfants qui meurent de faim ! » entend-on de partout.


Avant d’aller plus loin, examinons de près le seul acquis de cette rencontre insolite, l’augmentation du Smig de 40.000 à 52.000 francs. Pour qui suit le marché du travail au Bénin, il est remarquable qu’il est devenu de plus en plus difficile aux employeurs de conserver et de stabiliser un personnel payé à 40.000 frs le mois. Même les particuliers ne peuvent plus, depuis longtemps, trouver et conserver un chauffeur à 40.000 frs ; le minimum tournant autour de 45.000 - 50.000 frs. Le personnel domestique logé et nourri reçoit à la fin du mois entre 20.000 et 30.000 Fcfa par mois, ce qui avec le logement et la nourriture, dépasse largement les 40.000 frs. C’est dire que l’augmentation de 30% correspond à une mise à jour minimale par le clan des hommes d’affaires au pouvoir au Bénin de ce qui est déjà largement en cours, et ceci contre la proposition par les syndicats comme la CSTB de la revalorisation du Smig de 50-60% .


En ce qui concerne globalement la revalorisation des salaires, récapitulons le scénario :
Le mercredi 15 décembre 2021, après que le budget 2022 ait été déjà voté par l’Assemblée nationale, le Gouvernement, réuni en Conseil des ministres sous la direction du Chef de l’Etat, annonce la revalorisation et la hausse des salaires. Depuis lors, une grosse campagne est orchestrée pour contenir les travailleurs et louer Talon. Houngbédji Wilfried, le porte-parole du Gouvernement ne tarit pas des capacités du pouvoir à tenir ses promesses, et celles de Talon à toujours faire bien ce qu’il veut faire. Le jeudi 10 mars 2022, la ministre du travail et de la fonction publique, Mathys Adidjatou, réunit les responsables syndicaux pour leur dire « patience, un comité travaille et ce sera pour bientôt ». Le 17 avril 2022, soit moins de dix jours avant la rencontre, le ministre de l’Economie et des Finances, Romuald Wadagni, dans une émission télévisée répète que tout est prêt, que le chef de l’Etat avait rejeté le premier travail fait et demandé une meilleure augmentation en faveur des travailleurs !


Et puis, le jour de séance pour la revalorisation du Smig et des salaires, le Chef de l’Etat vient vous demander « qu’est-ce qu’il faut privilégier entre recruter les travailleurs, recruter les chômeurs dans la fonction publique et augmenter les salaires ? S’il ne faudra pas plutôt penser à l’équipement des hôpitaux, des écoles, etc » ? Comme si le Président de la République n’avait pas pensé à tout cela avant de promettre urbi et orbi une revalorisation. Comme si les hôpitaux et écoles équipés doivent et peuvent bien fonctionner avec des agents de santé et des enseignants affamés. La ruse et la duperie apparaissent donc ouvertement, pour à la fin, permettre de dicter et imposer des mesures de rejet des exigences des travailleurs. Ainsi, en ce qui concerne les travailleurs du privé autres que ceux au SMIG, Talon prononce la suspension (en fait la suppression) du principe de hiérarchisation automatique des salaires après une augmentation du Smig ; et pour les agents de la fonction publique, on tourne en rond autour de "principes" pour ne rien annoncer du tout de la revalorisation. En fait, il remet même en cause sa parole donnée de revalorisation, car « tout cela sera conditionné par la conjoncture internationale, la guerre en Ukraine, la cherté de la vie, et les exigences du FMI.» (sic). Comme si la conjoncture internationale n’aggraverait pas la situation de précarité, de famine des travailleurs et n’exigeait pas davantage et plus urgemment la revalorisation immédiate des salaires !
Quelle conclusion peut-on tirer de ce scénario ?


Premièrement, la séance du 26 avril 2022 avec le Chef de l’Etat n’était pas et n’a pas été une séance de négociations, mais une séance d’information et d’imposition des mesures prises. La présence, pour le moins incongrue du Chef de l’Etat à une session ordinaire d’une commission de négociations travailleurs-patronat-Etat, avec l’imposition d’un seul point à l’ordre du jour indiquait déjà un complot en prévision. Le peuple affamé appelle à l’augmentation des salaires et revenus, à la suppression des impôts et taxes injustes, à la fin de la précarité jusqu’à des grèves avec des AME. Sur le coup, Talon, annonce la revalorisation des salaires pour 2022, comptant sur un effet d’annonce. Mais le pays a été conduit dans les griffes du FMI, dont on ne bénéficie du concours financier sans des conditions et des engagements de serrer la vis aux travailleurs et au peuple afin de pouvoir payer les dettes (la fameuse clause de soutenabilité de la dette). Une revalorisation des salaires des fonctionnaires n’est donc plus à l’ordre jour sans l’autorisation du FMI. Plus de revalorisation, par conséquent plus de négociations. Alors, Talon disqualifie ses ministres Bio Tchané et autre Adidjatou, responsables de la Commission de négociations, prend lui-même les devants et dicte ses décisions : La revalorisation des salaires des fonctionnaires est rejetée … aux calendes grecques, lorsque le pouvoir aura pensé que la conjoncture le permettra. Un point important comme la résolution de la question des enseignants illégalement radiés est rejetée de façon véhémente par Talon qui dit qu’il ne veut plus en entendre parler ! On ne doit soulever devant le Chef de l’Etat que ce qu’il veut bien entendre alors !


La séance du 26 avril dite de revalorisation des salaires aura révélé toute la mascarade des débats sous l’autocratie. Il n’y a pas eu de négociations, mais d’une mise en scène sordide, d’une séance d’information et d’imposition des mesures retenues par Talon, en complicité avec ses associés du patronat privé.


Les travailleurs et le peuple n’ont pratiquement rien obtenu. Continuer et renforcer les combats contre la faim, la cherté de la vie et les impôts et taxes injustes planifiés par le pouvoir affameur demeure la seule issue de salut.


Rémy

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