Comment la France a torpillé La Fédération du Mali


Les colonialistes, dans le cadre de la conquête coloniale ont utilisé la politique « de diviser pour régner » pour dominer nos peuples. Les plus grands spécialistes en la matière, ce sont les colonialistes français. Au moment de la colonisation, ils ont opposé nos royaumes les uns aux autres, et après la conquête, ils ont opposé les nationalités les unes aux autres à l’intérieur des pays, provoquant même souvent, des guerres civiles. On passe sous silence l’épisode de la division de l’Afrique en deux, l’une dite Afrique occidentale française et l’autre Afrique équatoriale française.


Après la deuxième guerre mondiale et l’intensification de la lutte pour les indépendances avec sa défaite en Indochine et le début de la lutte armée en Algérie, la France coloniale avait commencé à bouger en Afrique Noire pour ne pas se faire déborder. C’est ainsi qu’elle adopta la Loi-cadre Defferre du 23 Juin 1956 qui entraina la disparition de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) pour instituer des gouvernements locaux élus au suffrage universel. Comme l’ont remarqué certains: « Dans l’esprit de ses concepteurs, la Loi-cadre Defferre est d'abord un dispositif visant à faire émerger dans chaque territoire des élites africaines dociles, susceptibles de devenir les agents et les défenseurs locaux des intérêts de la France » (in Kamerun La Découverte 2019).


Cette dislocation de l’AOF et de l’AEF n’était pas du goût de tout le monde, certains ayant perçu tout de suite que c’était une œuvre de balkanisation de l’Afrique. En Afrique centrale la lutte contre le démembrement était conduite par Barthélémy Boganda de l’Oubangui-Chari aujourd’hui République de Centre-Afrique. Il luttait même pour la création d’une Afrique Latine comprenant le Congo, l’Angola, etc. Il va disparaitre mystérieusement dans un accident d’avion le 29 mars 1959. Beaucoup y voient la main du colonialisme français.


En Afrique Occidentale, le débat fait rage aussi entre les partisans de la Fédération et les pions du colonialisme. Les partisans de la Fédération l’emporteront momentanément.


Ainsi, à la Conférence de Bamako des 29 et 30 décembre 1958 initiée par Gabriel d’Arbousier, les représentants de la République soudanaise, actuel Mali (Modibo Kéita), du Sénégal (DOUDOU GUEYE et Mamadou DIA), de la Haute-Volta, actuel Burkina Faso (NAZI BONI, André et Joseph OUEDRAOGO) et du Dahomey, actuel Bénin (Sourou Migan APITHY), écrivent l’acte de naissance de la Fédération du Mali, suivi le 14 janvier 1959 au palais du Grand Conseil de l’AOF, par la tenue de l’Assemblée constituante de la nouvelle Fédération. Celle-ci est ouverte par le discours du Sénateur-maire de Dakar, Lamine Gueye. Celui-ci déclare : « Notre réunion dans cette salle des délibérations du Grand Conseil est un acte de foi dans le destin d’une Afrique forte de l’union de tous ses membres sans discrimination d’aucune sorte ». La Constitution de la Fédération est approuvée à l’unanimité par les 44 délégués des 4 Etats le 17 Janvier 1959 à Dakar puis adoptée par les Soudanais et les Sénégalais les 21 et 22 Janvier. Le 4 avril suivant, Senghor préside l’Assemblée fédérale du Mali qui modifie la Constitution fédérale et désigne le Président, le Soudanais Modibo Kéita et le Vice-Président, le Sénégalais Mamadou DIA du Gouvernement fédéral, formé le 15 avril avec 4 ministres de chacun des deux pays membres. La Fédération du Mali était née.


Dans un premier temps, de Gaulle feint d’« ignorer » la Fédération du Mali pour dire: « La république du Soudan, je connais ; la république du Sénégal, je connais, la Fédération du Mali, je ne connais pas. » Ses déclarations ne plurent pas à Modibo Kéita qui les dénonça publiquement. Le 15 Mai 1959, de Gaulle reçoit à l’Elysée Modibo Kéita et reconnaît la fédération du Mali au sein de la Communauté du bout des lèvres. Puis le Président français répond favorablement le 13 décembre devant l’Assemblée fédérale, siégeant à Dakar, à la requête de transfert des pouvoirs de la Communauté à la Fédération, formulée le 29 septembre précédent. Les négociations ouvertes à l’hôtel Matignon le 18 janvier 1960 aboutissent à la signature le 4 avril 1960 des accords sur l’indépendance de la Fédération proclamée officiellement le 20 Juin 1960 à minuit à l’Assemblée fédérale par son Président, Léopold Senghor.


Mais La France ne s’avoue pas vaincue. Dans les coulisses, elle continue à torpiller la fédération, tant les idées panafricanistes et révolutionnaires de Modibo lui faisaient peur. Elle appréciait beaucoup plus les idées conciliatrices et défaitistes de Senghor. Les dissensions ne tardèrent pas éclater pour aboutir à la dissolution de la Fédération en août 1960, soit quelques mois après sa naissance, au grand bonheur de la France impérialiste qui aura réussi son coup.


Il faut rappeler que lorsque la question de la fédération faisait rage en 1957, Houphouët-Boigny et la section ivoirienne du RDA se rangent du côté des colonialistes et défendent une indépendance de chaque pays. Charles de Gaulle s’appuiera sur Félix Houphouët-Boigny pour créer la Communauté française unissant la France et ses anciennes colonies à l’opposé des nationalistes qui réclament l’indépendance immédiate lors du Congrès du PRA, les 25, 26 et 27 juillet 1958 au Centre International de l’Unafrica à Cotonou. C’est toujours avec ce valet patenté de Houphouët que de Gaulle réussit à convaincre la Haute-Volta et le Dahomey de quitter la Fédération pour fonder le Conseil de l’entente.


Contrairement à la France, on remarque que la Grande Bretagne a conservé le Nigéria comme fédération au lieu de le diviser en trois Etats indépendants comme le voulaient certains politiciens nigérians. C’est encore la France, qui non contente d’avoir balkanisé ses colonies, provoquera en 1967, la guerre du Biafra pour tenter de disloquer le Nigéria, aggravant ainsi sa dette envers les peuples africains. L’échec de cette première tentative d’unité des peuples africains est resté en travers de la gorge à beaucoup de panafricanistes. Mais les peuples et les progressistes tirent les leçons pour avancer. Voilà pourquoi la dernière proposition d’une union entre le Mali et le Burkina Faso a été acclamée par les peuples africains.


Afia

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