DECLARATION A PROPOS DE
LA CONSTITUTION REVISEE ET LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE

 

La nouvelle Constitution adoptée après assassinat de celle de 1990 par la dictature autocratique et promulguée le 07 novembre 2019 dernier dispose en son article 151-1 que « L’Etat reconnaît la chefferie traditionnelle gardienne des us et coutumes dans les conditions fixées par la loi ».
Cette reconnaissance formelle par l’Etat dans les conditions fixées par la loi (qui n’est pas encore prise) est nouvelle. Mais pour bien en apprécier la portée, il faut s’en référer à l’histoire et aux luttes du peuple. En effet, toute appréciation correcte de tout nouveau texte juridique, même celle qui peut apparaître comme une avancée, doit être analysée en rapport avec les exigences de la société et les revendications formelles des acteurs concernés. Alors quelles sont les exigences minimales des acteurs et de la société en ce qui concerne les Rois et autres dignitaires traditionnels pour le développement de notre pays sur les plans économique, social et culturel ?
Comme tout le monde le sait et que ne cessent de le répéter les patriotes, Les Rois et dignitaires de notre pays ont été vaincus par la force des armes par les colonialistes français dans la conquête du pays.

Ils ont été dépouillés de leurs pouvoirs et attributions ainsi que de leurs langues, coutumes, croyances et valeurs. Ils sont les plus grandes victimes de la colonisation. A l’indépendance, les nouveaux dirigeants installés par le colonisateur ont poursuivi l’œuvre de déracinement des peuples du Bénin, et certains comme le dictateur autocrate Mathieu KEREKOU y sont allés jusqu’à des crimes de masse contre eux avec sa campagne contre la sorcellerie, l’obscurantisme et la féodalité.
Mais force est de reconnaître que la résistance des peuples du Bénin demeure forte dans la préservation de ces valeurs pour cette simple raison anthropienne que chaque individu est relié à la culture universelle à travers la sienne propre. Tu ne tueras point, tu ne voleras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu honoreras ton père et ta mère, l’homme ne doit pas abuser de sa force naturelle pour bousculer inopportunément la femme, combattre les voleurs et le vol du bien commun, etc.., sont des valeurs connues et qui sont à la base de l’architecture juridique traditionnelle et dont toute transgression est sévèrement sanctionnée, même jusqu’à une condamnation à mort. Que le génie s’exprime à travers la langue maternelle, voilà ce qui se dit à travers les dictons de nos peuples.
Défendre sa terre, son royaume contre tout agresseur, voilà autant de valeurs inscrites dans nos sociétés traditionnelles. C’est l’ensemble de ces valeurs qui ont fondé la résistance de nos héros, Béhanzin, Kpoyizoun, Bio Guerra, Kaba.
Les Rois et les dignitaires probes ne sont donc pas seulement des « gardiens des us et coutumes », mais continuent de réaliser des œuvres de juges dans maints domaines, d’administration, de défense et de sécurité du territoire. Ils sont ainsi dépositaires des valeurs qui doivent et peuvent concourir à la renaissance de nos peuples, à la simplification de
la vie des citoyens, à la légitimité de beaucoup de textes de lois dans leur conformité avec les valeurs positives du pays. Ils constituent le gisement du patriotisme contre l’humiliation, l’oppression et l’exploitation coloniale et néocoloniale.
C’est pourquoi, après leur répression inhumaine par le pouvoir de dictature autocratique de Mathieu KEREKOU, la conquête des libertés a correspondu aussi à partir de 1990 à l’éveil des dignitaires traditionnels et à la formulation de plus en plus précise de leurs revendications. L’Institut International de Recherche et de Formation fondé par Pascal FANTODJI en 1997 a aidé dans cette précision des revendications.
Alors qu’est-ce que les Rois et les Dignitaires traditionnels veulent ? Les expressions les plus nettes peuvent se voir avec leur plate-forme adoptée dans de nombreuses conférences depuis notamment 2002 et peut se résumer comme suit :
« a- La création, au sein du Parlement, de la Chambre des Nationalités composée de Représentants des Rois et dignitaires traditionnels, et qui aura pour mission de contrôler la conformité des lois votées par les députés de l’Assemblée nationale avec les valeurs positives de nos traditions ;
b - La création d’une juridiction de droit traditionnel depuis le village jusqu’au sommet ;
c - La reconnaissance par l’Etat des Rois, Chefs de terre, Chefs de couvents, Devins comme administrateurs et juges locaux et dûment payés à cet effet par les soins et fonds de l’Etat ;
d - La reconnaissance par l’Etat des groupes de chasseurs de diverses contrées du pays ainsi que les brigades de jeunes (Donkpè dans certaines contrées) comme structures légales contribuant à la sécurité publique et leur rémunération subséquente dans le cadre de la sécurité publique et de défense du territoire ;
e - La reconnaissance par l’Etat des cabinets et cliniques des tradithérapeutes et guérisseurs comme établissements de soins de santé légaux et partie intégrante de la médecine officielle au Bénin soutenus et subventionnés pour leurs activités ;
f- La Reconnaissance de toutes les langues nationales comme langues officielles d’instruction et d’administration dans leurs terroirs:
- Leur usage obligatoire à tous les niveaux de l’Administration de notre pays dans leurs terroirs respectifs ;
- L’instruction des enfants dans leurs langues maternelles, l’alphabétisation des adultes sur leurs territoires respectifs ;
- Le déploiement immédiat de précepteurs, payés par l’Etat, pour alphabétiser les Rois, Reines, Dignitaires, Intellectuels traditionnels dans leurs langues maternelles sur leurs territoires respectifs pour la transcription du patrimoine à eux légué ;
g- La protection et la promotion du patrimoine national (économique, culturel, historique) »
Cette plate-forme a été communiquée aux Autorités avant et après le pouvoir de Talon. Elle a été notamment remise à la Commission Djogbénou chargée des réformes politiques et institutionnelles le 30 mai 2016. Des Rois l’ont déposée et défendue devant les députés et les Présidents de l’Assemblée de la 6ème et de la 7ème législature. Elles sont répétées dans des résolutions dans maintes assises comme celle de Nikki du 15 juillet 2017.
A ces exigences claires, la Constitution de Talon répond par la reconnaissance de la Chefferie dans les conditions fixées par la loi. Talon et son parlement n’ont pas accédé aux revendications fondamentales des Rois et dignitaires traditionnels. Pourquoi ?
Pour la simple raison que la satisfaction des exigences fondamentales, telles que la représentation des Rois et dignitaires au Parlement par la création d’une Chambre des Autorités traditionnelles et au niveau juridictionnel par la création d’une chambre de droit traditionnel de la base jusqu’à une Cour suprême, demande leur prise en compte dans la constitution même et dépasse la simple reconnaissance de la Chefferie dans les conditions fixées par une loi à venir. C’est déjà dans la constitution même que cela doit être inscrit. Les Rois ne doivent pas seulement être reconnus comme des gardiens des us et coutumes réduits au folklore pour des touristes, mais comme acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre des lois pour le développement du pays. C’est le rôle de la Chambre des Lords et des Sénats dans maints pays qui savent que pour se développer et porter durablement des fruits, le peuple doit avoir des racines profondément ancrées dans son sous-sol, son passé.
La loi à venir visée dans le texte de la constitution autocratique ne peut pas satisfaire ces exigences fondamentales. Pire ou mieux, personne à ce jour, ne peut dire ce que contiendra cette loi à venir. La Constitution de Talon aura ainsi vendu en quelque sorte à nos Rois et dignitaires, par l’intermédiaire de ses députés godillots, un pagne plié. Une fois déplié, ce pagne peur réserver des surprises, surtout de la part d’un pouvoir qui est allé jusqu’à admettre la ruse comme élément de gouvernance.
En conclusion, la lutte des Rois, des dignitaires et des patriotes a contraint le pouvoir de Talon à proclamer une reconnaissance platonique de la Chefferie qu’il fige dans un rôle de gardien des us et coutumes. L’essentiel demeure donc, à savoir le rétablissement dans leurs prérogatives des institutions traditionnelles fondamentales du pays (Rois et autres dignitaires traditionnels) à tous les niveaux (parlementaire, juridictionnel) matérialisé par la création d’une Chambre au Parlement (chargée d’étudier la conformité des lois votées avec nos traditions positives) ainsi que d’une Chambre de droit traditionnel de la base jusqu’à la Cour suprême.
De la reconnaissance formelle des Rois et dignitaires à leur implication entière et digne dans les instances de décision, voilà le défi de ce moment où de partout fusent les critiques et rejets du pacte colonial (bases militaires, monopôle du français comme langue officielle au détriment des langues nationales, monnaie, commerce-entrepôt) et où s’affirment le patriotisme, le respect nécessaire et la dignité des peuples.
L’INIREF appelle par conséquent, les Rois et dignitaires traditionnels ainsi que tous les patriotes à poursuivre le combat pour le rétablissement de leur dignité et de celle de tout notre peuple.

Cotonou, le 12 décembre 2019 Le Bureau Exécutif
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