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ADRESSE VII
Aux Députés de la VIIème législature et au peuple en lutte du Bénin!

 

Messieurs les Députés !
Peuple béninois !
Dans le quotidien « La Nation » du 23 Janvier 2018, il est annoncé une proposition de loi portant charte de partis politiques affectée à la Commission des lois pour étude et adoption par le Parlement. Cela pour remplacer l’actuelle loi 2001-21 du 23 Février 2003 portant charte des partis politiques.
Compte tenu de tout ce qui a été dit et se raconte autour de question du système partisan, compte tenu des objectifs cachés ou avoués des tenants de l’élaboration d’une nouvelle charte, compte tenu enfin de la tendance actuelle dominée par des vues à peine cachées d’une restauration autocratique, je voudrais attirer votre attention sur un certain nombre de considérations.

 

I- Rappel de l‘historique des faits socio-politiques ayant abouti à l’instauration du multipartisme intégral au Bénin.
La consécration par voie constitutionnelle du multipartisme intégral n’est pas faite sous l’effet de hasard ou par baguette magique, ni par la bonne volonté d’un individu. Tout un chacun, du moins parmi la génération des gens ayant plus de cinquante ans, peut l’attester. C’est le fruit de luttes âpres menées par notre peuple sous la direction du Parti communiste du Dahomey (actuel Parti communiste du Bénin). Contre la dictature autocratique incarnée dans un parti unique imposé, le Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB) des hommes se sont levés pour dire non. Ils ont créé un Parti ; se sont organisés bien sûr dans l’illégalité ; ils ont affronté l’armada des policiers et autres mouchards de Kérékou-PRPB. Au prix de sueur, de larme, au prix de sang ! Mais ils ont réussi à fédérer toutes les énergies saines, tous les démocrates sincères et on a vaincu. La reconnaissance de ce parti devenu incontournable, ne peut plus permettre l’instauration d’un système partisan « fermé ». Et malgré la volonté d’un politologue comme Holo qui préconisait en 1990 « trois partis fondés sur trois idéologies essentielles : le libéralisme, le socialisme et la social-démocratie’’ », la totale liberté d’association politique fut consacrée. Le multipartisme intégral s’est imposé dans la Constitution.
Depuis lors, nous avons assisté à des assauts répétés des anti-démocrates, contre cette disposition constitutionnelle. Parmi les plus zélés, je dois citer Abraham Zinzindohoué et ce depuis 1998. Il était président de la Cour suprême. Je l’avais combattu vivement à cette époque.
Messieurs les Députés !
Peuple béninois !
Je dis, en tant que spécialiste du domaine (constitutionnaliste), en tant que politique, le multipartisme intégral n’est pas le mal à combattre au Bénin. Le mal est ailleurs. Il est dans le système d’apatridie, de corruption et de pillage dont vivent les hauts bourgeois, quel que soit le système partisan. Tous ceux qui en font le « mal » à combattre, visent autre objectif : restaurer l’autocratie favorable aux affaires, favorable à leurs intérêts égoïstes.
Je dis que le système partisan est toujours lié à l’histoire politique et sociale d’un pays pris à part. Il n’est pas la copie conforme d’un autre quelle que soit la beauté du « modèle »
Je dis que le système de liste à la représentation proportionnelle adopté par notre pays pour les élections législatives et locales est toujours, dans tous pays, porteur d’émiettement du paysage partisan. Je dis qu’il existe une voie technique pour la limitation des partis politiques dans un pays ; c’est l’instauration du système uninominal majoritaire à un ou deux tours.
Je dis que tous ces hauts cris sur le nombre de partis politiques au Bénin sont surfaits. Qu’en prenant seulement pour critères l’animation de la vie politique, on verrait qu’il n’en existe qu’une dizaine de réels partis politiques au Bénin et que bon nombre n’ont d’existence que dans les registres du ministère de l’intérieur. Et leur existence sur le papier ne peut gêner, au plus, que les archivistes du Ministère de l’Intérieur.

II- La proposition de charte a pour objectif de supprimer la liberté d’association politique

Messieurs les Députés !
Peuple béninois !
On ne saurait être démocrate sérieux si l’on ne respecte pas les principes suivants dans l’élaboration de loi régissant le système partisan :
1°Dissocier l’existence d’un parti de son ancrage ou assise territoriale. Un parti, c’est un groupe d’hommes (qu’importe le nombre au départ) se donnant un programme politique - avec ou sans philosophie ou idéologie ouvertement affirmée - pour la conquête ou l‘exercice de pouvoir, et une direction politique.
2°- Dissocier l’existence du parti du financement public. Un parti peut exister sans recevoir de financement public. Il faut remplir des critères pour recevoir un financement public
3°-Les critères de financement public ne peuvent être qu’au nombre de deux :
a- L’animation de la vie publique (journaux, papiers divers se prononçant sur les événements politiques, conférences, meetings etc.) pour l’information et l’éducation du peuple. Représenter une force de proposition de gouvernance.
b- La représentativité dans les élections nationales et locales.
On ne saurait privilégier l’un des critères sur l’autre.

Que nous propose-t-on comme contenu de la nouvelle loi portant Charte des partis politiques ?
Je ne vais pas aller dans les détails des choses. Je ne prends que quelques aspects de ce que j’ai pu avoir comme mouture de « proposition de loi portant charte de partis politiques » déposée à la Commission des lois.
On nous propose :
1°- Pour la création d’un parti : Il faut un nombre de 100 par commune (article 21). Autrement dit, il faut être 7700 !! Pour créer un parti ! Au lieu de dix par département soit 120 comme actuellement. Il faut avoir un siège (par département) obligatoire dès la création sous peine de dissolution (Article 35) ! Le parti est donc un monstre dès sa naissance !
Une structure appelée Agence Nationale d’Enregistrement des Partis Politiques (ANESP) est créée, un véritable gendarme aux mains du Chef de l’Etat pour décider ou non de l’existence d’un parti politique. En effet si la première mouture de la proposition (qui avait circulé) avait logé cette Agence à la Présidence, l’actuelle mouture sûrement suite aux protestations, a été logée au Ministère de l’intérieur. Mais là c’est de façade ; puisque et le Conseil d’Administration et le Directeur Exécutif de cette Agence sont nommés par le Chef de l’Etat en conseil des ministres. Le CA et le Directeur ont toutes latitudes d’enregistrer un parti (articles 25, 26,29) comme de le dissoudre soit directement soit par voie judiciaire (les articles 55 et 56). Il suffira, pour le Président Talon, de ne pas vouloir d’un parti politique pour ordonner, par le truchement du Conseil d’Administration ou par le Directeur nommé par lui, de refuser son enregistrement ou sa dissolution. Et les jeux sont faits.
2°- Fonctionnement- Financement
L’obligation est faite au parti de prendre part aux élections législatives et locales sous peine de dissolution ! (Article 32). Le parti n’a plus la liberté d’opinion, de prôner l’abstention ou le boycott ! Pour recevoir de financement public, il faut, pour le parti obtenir 1/5(??!!) du nombre de députés composant l’assemblée nationale (c’est-à-dire 17 députés) provenant au minimum de deux cinquièmes (2/5) du nombre total des circonscriptions électorales c’est-à-dire provenant de 10 circonscriptions électorales sur 24.
3°-Pénalités.
Dans un domaine politique comme celui-ci où la liberté est la règle et la prison l’exception, la proposition de charte dispose d’une panoplie de mesures dont toutes concourent à la prison (les articles 60 à 65). Les peines de prison vont de trois mois à dix ans ! Par exemple pour avoir prôné le rattachement du parti à « une région, à une philosophie, à un groupe linguistique », on vous envoie en prison pour dix ans ! Oui, avoir un parti avec une philosophie serait un crime passible de prison ! Et les amendes vont jusqu’à 20 millions CFA sans préjudice des autres peines telles la dissolution.
Sans aller plus loin dans les analyses, il s’agit ni plus ni moins que d’une loi anti-liberté d’association politique, une loi pour dissoudre des partis politiques existants puisqu’il est disposé que dans les 6 mois à compter de la date de la promulgation de cette loi, tous les partis existants doivent se conformer aux nouvelles dispositions (article 66). Il s’agit d’une violation de l’esprit et la lettre de notre Constitution.
III- Notre Peuple, le Parti Communiste du Bénin ne se plieront jamais à une loi autocratique au Bénin
Messieurs les Députés !
Peuple béninois !
Comme il est démontré, il s’agit d’une loi anti-parti politique au Bénin. Une loi qui permet de faire taire toute opposition politique, qui permet à une oligarchie de décider légalement, de parader parce que disposant d’une majorité mécanique au Parlement et de se financer grassement sur fonds publics, de mettre le Bénin sous coupe réglée pour le bonheur et la floraison des affaires de la Société Patrice Talon et Cie.
Le peuple béninois qui a tant souffert pour la conquête des libertés politiques avec des martyrs dont les âmes planent encore sur nos têtes, je veux citer quelques-uns tels Luc Togbadja, Akpo-kpo Glèlè Rémy, Mama Yari Moussa n’acceptera jamais encore la camisole autocratique etc.. Le Parti Communiste du Bénin, dis-je, ne va jamais trahir la mémoire de ces martyrs, trahir la cause pour laquelle, ils ont donné leur vie. Notre peuple n’acceptera pas de prendre pour pertes et profit les années de luttes et de souffrances pour obtenir ce qui est aujourd’hui : la liberté d’association politique exprimée à travers le multipartisme intégral.
J’appelle les travailleurs, les démocrates, notre peuple à réserver à cette proposition de loi anti-parti politique le même sort qu’au projet funeste de révision de la Constitution ainsi qu’aux lois scélérates anti-grève.
Le Parti Communiste du Bénin affirme qu’une loi anti-parti politique, même votée, sera nulle et de nul effet pour notre peuple. En conséquence, il se donne le droit de ne jamais la respecter.
Je vous remercie
Cotonou, le 30 Janvier 2018.

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