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A PROPOS DE L’ACQUISITION D’UN IMMEUBLE DE L’ETAT PAR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE :
LE PEUPLE BENINOIS N’AVALISERA JAMAIS
LE HOLD-UP DE PATRICE TALON SUR LE DOMAINE DE L’ETAT.

I- L’énoncé de la décision de la Cour constitutionnelle

Courant janvier 2O17, le peuple béninois apprend avec stupéfaction que le Chef de l’Etat avait sollicité et obtenu de la Cour Constitutionnelle l’autorisation de racheter un domaine privé de l’Etat jouxtant son domicile privé et d’une dimension de 2930m2 (soit environ six parcelles de 500 m2) ; à un prix « généreux » de 979 millions de CFA ! Montant qui pourra « permettre au ministère des affaires étrangères- selon les dires de Patrice Talon dans sa requête à la Cour Constitutionnelle- d’acquérir un nouvel immeuble ...à un prix de 500 millions de CFA. » Que veut-il faire de l’immeuble ? « Je le destine à l’aménagement sur mes fonds propres, d’un espace dédié à la réception de mes hôtes officiels et privés » argumente-t-il dans sa réponse à l’instruction de la Cour.
Sur la base de quoi, dans sa décision DCC 17-009 du 06 janvier 2017, la Cour Constitutionnelle accorde l’autorisation.
Cette décision de la Cour Constitutionnelle- comme beaucoup d’autres -fait partie de la panoplie de celles à polémique et dont le caractère incongru, arbitraire et somme toute « illégal » est aisé à démontrer.

Examinons de près les arguments de droit sur lesquels s’est appuyée la Haute Juridiction pour donner sa décision.
Dans ses motifs finaux comme dans les dispositifs de la décision, il est dit « Considérant que....dès lors au regard de tout ce qui précède, il y a lieu pour la Cour de dire et juger que l’autorisation est donnée au Président de la République, Monsieur Patrice Talon, d’acquérir l’immeuble sis au lot n° 558-559 à la zone résidentielle Ehouzou Nima à Zongo, dans le 11ème arrondissement de la ville de Cotonou appartenant au domaine privé de l’Etat, à la condition expresse que ledit bien ne soit pas affecté à un service public et soit effectivement mis en vente par le ministre en charge du Domaine et du Foncier »
Décide
Article 1er – La Cour autorise le Président de la République, Monsieur Patrice Talon, à acquérir, dans les conditions fixées par la loi (Souligné par moi Ph. N.) l’immeuble sis au lot n° 558-559 à la zone résidentielle Ehouzou Nima à Zongo, dans le 11ème arrondissement de la ville de Cotonou appartenant au domaine privé de l’Etat, sous réserve de la non affectation dudit domaine à un service public et de sa mise en vente effective par le ministre en charge du Domaine et du Foncier »
Dans ces dispositions se trouvent de graves illégalités pour ne pas dire de graves atteintes à notre Constitution
Les problèmes que soulèvent ces illégalités ont trait aux éléments de droit suivants :
1°-Quelle est la loi applicable en l’espèce au regard de la personnalité du bénéficiaire de la vente, le Président de la République en l’occurrence ?
2°- La mauvaise application de la loi N° 2013-01 du 14 Août 2013, portant Code foncier et domanial en République du Bénin.
3°-Le moment d’intervention de la mise en vente.
4°- L’usage qui est fait de l’immeuble actuellement et l’affectation donnée, prévue à l’immeuble une fois vendu.


I- -Quelle est la loi applicable en l’espèce ?
L’article 52 de notre Constitution dispose « Durant leurs fonctions, le Président de la République et les membres du gouvernement ne peuvent par eux-mêmes, ni par intermédiaire rien acheter ou prendre en bail qui appartienne au domaine de l’Etat, sans autorisation préalable de la Cour Constitutionnelle dans les conditions fixées par la loi. » (Souligné par moi Ph. N)
Dans l’analyse de la requête de la Cour il est dit expressément « Considérant que cette disposition qui confère ainsi à la haute juridiction une compétence d’attribution, exige une loi spécifique (Souligné par moi Ph. N) qui doit avoir été votée et promulguée et dont l’objet serait de fixer la procédure et les conditions dans lesquelles la Cour doit donner son autorisation préalable à l’opération ; qu’il est constant qu’à ce jour, aucune loi ne détermine cette procédure de l’octroi de l’autorisation à donner par la haute juridiction »
Première Observation : Comme le reconnaît la Cour supra, la loi applicable en l’espèce est « une loi spécifique », celle prévue par la Constitution elle-même pour l’acquisition d’un domaine de l’Etat par le Président de la République et les membres de gouvernement. Or, dit la décision, « à ce jour, aucune loi ne détermine cette procédure de l’octroi de l’autorisation à donner par la haute juridiction »
Autrement dit, cette loi n’a jamais été prise.
Pour fonder sa décision d’autorisation, la Cour recourt à la loi N° 2013-01 du 14 Août 2013, portant Code foncier et domanial en République du Bénin.
Elle dit « Qu’il existe toutefois des dispositions législatives et réglementaires qui indiquent les modalités de cession à titre onéreux ou à titre gratuit ou de location du domaine privé de l’Etat »
Deuxième Observation : La Cour Constitutionnelle est-elle fondée à recourir à une autre loi pour décider en le cas d’espèce ?
Nullement. La loi « spécifique » exigée par la Constitution est la seule valable.
Parce que : D’une part, c’est celle qui s’applique au Président de la République et aux membres de gouvernement « durant leur fonctions » et non une autre.
D’autre part, la loi prévue par une Constitution fait partie du bloc de constitutionnalité et revêt une force supérieure à une loi non prévue par la Constitution.
Enfin la loi N° 2013-01 du 14 Août 2013, portant Code foncier et domanial en République du Bénin n’a pas le même objet que celle prévue à l’article 52 car ne s’applique pas au Président de la République et aux membres de gouvernement en fonction. Elle s’applique au citoyen ordinaire, au citoyen « lambda ».
C’est donc par abus de droit et donc par violation flagrante de notre Constitution que la Cour Constitutionnelle s’est permis le droit d’autoriser, sur la base d’une loi n’ayant pas le même objet, la cession de l’immeuble de l’Etat au Président de la République.
On me demandera, face à la requête du Président de la République d’acquérir un tel immeuble du domaine privé de l’Etat, que doit faire la Cour Constitutionnelle ?
Elle devrait déclarer la requête irrecevable ; aux motifs qu’il n’existe pas de loi d’application. C’est comme si on pouvait organiser un référendum sans l’existence d’une loi référendaire.
La Cour devrait agir ainsi et voici pourquoi.
1°- Le principe développé ici par la disposition constitutionnelle (en l’occurrence l’article 52), c’est l’interdiction formelle pour le Président de la République et les membres du gouvernement de «rien acheter ou prendre en bail qui appartienne au domaine de l’Etat ». Et l’exception ouverte à ce principe, c’est la soumission préalable à l’autorisation préalable de la Cour Constitutionnelle - supposée garante de l’intérêt général- et ce, dans les conditions fixées par une loi spécifique.
Car aucune autorisation en dehors de cette loi spécifique, fût-elle constitutionnelle, n’effacera dans l’esprit des hommes qu’il s’agit de l’accaparement par le Président de la République d’un bien qui appartient à l’Etat.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une telle disposition n’existe même pas dans certaines Constitutions telles celle du 4 Octobre 1958 en France, ni à ma connaissance dans aucune autre Constitution européenne. Il s’agit d’une question profondément éthique, bien au-delà des textes factuels existants.
C’est dire que l’auteur de la requête, en fait le Chef de l’Etat, s’il avait quelque pudeur en matière de respect du bien public dont il a la charge de garde, et plus particulièrement s’il avait quelque égard à l’éthique de sa charge, devait s’abstenir d’acter dans le sens qu’il a fait.
De son côté, en l’absence de ce grand défaut de réserve de la part du Président de la République, la Cour Constitutionnelle à qui dès lors est renvoyée la charge de protéger le domaine public, devait le rappeler à l’ordre en lui refusant cette autorisation, sous peine d’être co-auteur de délit de « prise illégale d’intérêt. »


II- Mauvaise application des dispositions de la loi N° 2013-01 du 14 Août 2013, portant Code foncier et domanial en République du Bénin et du décret 2015-011 du 29 janvier 2015 portant modalités de cession à titre onéreux, d’aliénation à titre gratuit, de location des terres et biens immeubles du domaine privé de l’Etat et des collectivités territoriales.
L’article 288 dispose « Le domaine affecté comprend les immeubles mis gratuitement à la disposition des services de l’Etat ou des collectivités territoriales pour leur permettre d’assurer leur fonctionnement »
L’article 298 de la loi poursuit : « L’Agence nationale du domaine et du foncier tient par département le tableau général des propriétés immobilières de l’Etat qui fait ressortir chaque année
- les terres et biens immeubles du domaine privé affectés aux services publics
- les terres et biens immeubles du domaine privé non affectés et destinés en principe à être donnés en concession, cédés ou loués à des personnes physiques et morales de droit privé ou mis en réserve pour les besoins éventuels des services publics... »
Enfin, l’article 9 du décret de 2015-011 ordonne «La cession à titre onéreux des terres et biens immeubles du domaine privé de l’Etat au profit des personnes physiques et morales de droit public ou privé est effectué en vue de la réalisation d’ouvrage ou d’activités reconnus d’intérêt public » (Souligné par moi Ph. N)
De la lecture croisée de toutes ces dispositions, il revient que « un bien immeuble du domaine privé de l’Etat ne peut être aliéné qu’à la condition qu’il ne soit pas affecté à un service public et soit effectivement mis en vente par le ministre en charge du Domaine et du Foncier » C’est ce qu’affirme la Cour Constitutionnelle elle-même.
Mais alors l’immeuble du domaine privé de l’Etat, objet de requête en achat par le Président de la République est-il affecté à un service public ? Certainement. L’immeuble en question abrite un bâtiment « à usage d’habitation de fonction des ministres des affaires étrangères ». Par ailleurs, ce bâtiment « se trouve à présent occupé par la Garde républicaine » écrit le demandeur lui-même, le Chef de l’Etat, dans sa requête. Ce qui signifie qu’il est bel et bien affecté à un service public. A moins de prouver que l’habitation de fonction des ministres des affaires étrangères ou l’hébergement de la Garde républicaine ne soit pas un service public !!
Et pourtant la décision de la Cour conclut à l’autorisation de vente de l’immeuble « sous réserve de la non affectation dudit immeuble à un service public » ; sous-entendant par là qu’il n’est pas affecté à un service public. Ce qui est une incongruité manifeste.
L’objet auquel le Président de la République destine l’immeuble est-il d’intérêt public comme l’exigent les dispositions légales ? Encore là c’est discutable.
En effet, selon la déclaration du Président de la République, il le destine « à l’aménagement sur ...fonds propres d’un espace dédié à la réception de mes hôtes officiels et privés ». Oui ; fort bien. Mais il se pose un problème. Si l’on peut comprendre qu’il existe un « intérêt public » pendant que M. Patrice Talon est Président de la République, qu’en sera-t-il lorsqu’il ne sera plus président de la République, retournera-t-il l’immeuble à l’Etat ?


III - Il s’agit d’une prise illégale d’intérêt et d’un hold-up sur le patrimoine de l’Etat.
Au regard de ces considérations, je dis, j’affirme, que l’opération d’acquisition du domaine privé de l’Etat par le président Talon est un hold-up effectué en complicité avec la Cour Constitutionnelle.
Pour les motifs de droit que sont :
1°-Violation de l’article 52 de notre Constitution ; illégalité manifeste consistant en la manipulation des lois et des conclusions qui en sont tirées.
2°- Non réunion des conditions d’un contrat de vente.
En effet, l’on sait en droit des obligations que pour qu’il y ait conclusion d’un contrat de vente, il faut deux opérations tout aussi substantielles l’une que l’autre.
La première : il faut l’offre de vente ; ce qu’on appelle en langage technique, la pollicitation. La pollicitation est le terme utilisé par la doctrine pour désigner l’offre de contracter avant qu’elle ne soit acceptée par la partie à laquelle elle a été présentée.
La deuxième : il faut l’acceptation de l’offre de vente par l’acheteur et qui se traduit par l’achat. Autrement dit, il faut l’expression de deux volontés.
Il suffit qu’une seule des deux conditions fasse défaut pour que le contrat de vente n’existe pas.
Dans le cas d’espèce, la décision de la Cour Constitutionnelle tout en soumettant l’autorisation à la condition « de la mise en vente de l’immeuble par le ministre en charge du Domaine et du Foncier » n’a nullement dit que cette formalité a été accomplie avant d’autoriser. Ce qui veut dire que la condition de la mise en vente n’a pas été prise en compte par la Cour dans sa décision.
Du reste, il se fait que c’est le Président de la République, gardien du domaine d’Etat et de qui dépendent tous les services administratifs de ce pays, qui propose à vendre et s’en fait l’acheteur. Même si l’on fait la concession que c’est le Ministre du cadre de vie qui en est le gardien et qui propose à vendre, la chose reviendrait au même. Le Ministre du cadre de vie est dans un rapport de préposé par rapport au commettant qu’est le Président de la République.
La caractérisation d’une telle opération c’est la « prise illégale d’intérêt ».
La prise illégale d’intérêt se définit comme « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement » (En France NCP article 432-12)
La « prise illégale d'intérêts » constitue au regard de l'article 432-12 du Code pénal français (reçu dans le droit positif et encore en vigueur dans notre pays), un délit sanctionné d'une double peine d'emprisonnement et pécuniaire.
Il s’agit bel et bien d’une « prise illégale d’intérêt » ou si l’on veut, d’un hold-up sur le domaine privé de l’Etat. Par conséquent, toute prétention et tous actes de disposition de Monsieur Patrice Talon sur cet immeuble sont nuls et non avenus.
C’est pourquoi, j’appelle,
1- Le Président de la République à retourner dans le patrimoine de l’Etat, l’immeuble sis au lot n° 558-559 à la zone résidentielle Ehouzou Nima à Zongo, dans le 11ème arrondissement de la ville de Cotonou ;
2- Toutes les institutions de la République, l’Assemblée nationale, le Conseil Economique et social, le médiateur de la République et même la Cour Constitutionnelle à empêcher cette prise illégale d’intérêt par le Chef de l’Etat ;
3- Les partis politiques, les organisations syndicales et de la société civile, les travailleurs, les jeunes, les démocrates à se lever et à mener toutes actions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays pour reprendre à Monsieur Patrice Talon le bien public illégalement pris.
En tout état de cause, le peuple béninois n’acceptera jamais ce fait accompli. Il se donnera les moyens de reprendre ce domaine objet de main-mise illégale pour le retourner dans le giron de l’Etat.
Quel que soit le temps que ça durera.
Cotonou, le 04 mai 2017.
Pr Philippe NOUDJENOUME
Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin
Président de la Convention Patriotique des Forces de Gauche

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