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A PROPOS DE LA LOI SUR LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE
LES PREROGATIVES LEGISLATIVES ET JURIDICTIONNELLES DES ROIS ET DIGNITAIRES TRADITIONNELS DOIVENT ETRE REHABILITEES.


La Commission chargée de l’élaboration du cadre juridique de la Chefferie traditionnelle au Bénin a été installée le vendredi 27 mai 2022 par le Chef de l’Etat, Patrice Talon. A cette occasion, écrit le journal "Le Matinal", Patrice Talon a donné des orientations : « Il ne s’agit pas de rétablir la chefferie traditionnelle en compétition avec l’ordre moderne….Il ne s’agira pas d’engager la chefferie traditionnelle dans un quelconque conflit avec la Constitution béninoise. Notre Constitution est intangible….Je dois le répéter pour que le sens de vos travaux ne pêchent en rien et que la direction dans laquelle vos travaux vont se dérouler ne heurte pas du tout l’esprit de la réforme. Il n’y aura pas de conflit entre les prérogatives de la chefferie traditionnelle tel que nous l’avons avec la Constitution et nos lois qui organisent la vie politique et administrative du pays…il n’y aura pas de partage de rôle » (Cf. Le Matinal n°6346 du 30 mai 2022).


L’insistance de Talon indique qu’il y a un problème quant au rôle de la Chefferie traditionnelle, au rôle des Rois et Dignitaires traditionnels dans la gouvernance de la République actuelle. Avant ce qui est la République actuelle, mise en place par le colonisateur, les Rois et autres dignitaires gouvernaient les cités sur des valeurs propres. L’agresseur colonialiste français les a dépouillés de leur pouvoir pour imposer à eux et aux peuples du Bénin sa langue, sa religion, par conséquent sa culture. La République "moderne", fondée dans ces conditions de pays colonisé, est de ce fait, jusqu’à présent sans racines profondes et par conséquent ne peut se développer, ne peut pas porter des fruits à la satisfaction du peuple. Toute possibilité de développement réel passe par une Refondation sur nos valeurs séculaires capables de féconder les progrès de toute l’humanité. Tout le monde convient aujourd’hui que les pays qui se sont développés l’ont été sur la base de leur culture.


Or, depuis l’indépendance formelle jusqu’à ce jour, le pays est resté fondamentalement un "Enclos français", dans la perpétuation des valeurs des puissances dominatrices étrangères, combattant, méprisant la Chefferie traditionnelle. Le pouvoir de Kérékou-PRPB l’a férocement réprimée dans le cadre de "la lutte contre la féodalité". La Constitution du régime du Renouveau dit démocratique l’a ignorée dans le servilisme renouvelé au pacte colonial et au cléricalisme. Avec l’aide de la démocratie révolutionnaire et plus précisément dans le cadre l’Initref (Institut International de Recherche et de Formation), à partir de 1997, les Rois et Dignitaires ont multiplié les concertations et ont élaboré leurs revendications. Le pouvoir de Yayi était obligé de courir derrière les Rois, de recourir à leur médiation. Leur reconnaissance tacite par les dirigeants au sommet de l’Etat ne pouvait plus ne pas être légalisée. C’est ce que fit Talon dans la Constitution révisée en son article 151-1 : « l’Etat reconnaît la chefferie traditionnelle gardienne des us et coutumes dans les conditions fixées par la loi. »


Alors problème : comment la chefferie traditionnelle va-t-elle jouer son rôle de « gardienne des us et coutumes » ? Quelles seront ses prérogatives ? Est-ce comme le rapporte le journal "La Nation" du 30 mai 2022, seulement « aider dans les conciliations », en marge d’une « Constitution intangible » ? Si l’on sait que les lois que votent les députés au Parlement sont fondées (explicitement ou non) sur des valeurs culturelles, dont certaines sont souvent étrangères à nos us et coutumes, comment les gardiens reconnus des us et coutumes peuvent-ils influer sur la prise de ces lois ? Talon, dans ses mises en garde à la Commission installée, dit « il ne s’agit pas de rétablir la chefferie traditionnelle en compétition avec l’ordre moderne. » Mais, et si l’ordre moderne n’est pas bon pour les hommes et femmes du pays et heurte nos us et coutumes, quel pouvoir ont les gardiens des us et coutumes pour redresser les choses ? Alors pourquoi ne pas poser le problème de façon positive, à savoir comment la Chefferie traditionnelle va renforcer l’ordre républicain moderne !?


Dès que le problème est posé de cette manière, aussitôt, on s’ouvre toutes les possibilités de tirer le meilleur de notre culture, le meilleur de nos us et coutumes. On voit tout de suite que les Rois et Dignitaires doivent aussi jouer un rôle dans la prise des lois, afin que ces lois soient conformes à nos us et coutumes. On comprend aussi alors, qu’au vu de la tradition encore vivante, les hommes et femmes ne doivent pas être toujours jugés selon les normes juridiques étrangères et donc arbitraires par rapport à leur vécu commun. Il faut un ordre juridictionnel traditionnel de la base au sommet. Les prérogatives à reconnaitre pour les Rois et Dignitaires, doivent être des prérogatives législatives et juridictionnelles. On comprend aussi, qu’il faut juger les hommes et femmes dans leur langue nationale et par ailleurs, comme vient de le reconnaitre la Banque Mondiale, qu’il faut instruire les enfants à partir de leur langue maternelle.


Et ces prérogatives sont reconnues et mises en œuvre par beaucoup de Républiques modernes : - Au niveau législatif, un parlement à deux chambres, une Chambre des députés qui vote les lois, et une Chambre des Dignitaires (des Lords en Angleterre, Sénat en France, etc.) qui examine la conformité des lois votées par les députés avec les us et coutumes, les valeurs positives du pays. Dans tous ces pays modernes, les hommes sont jugés dans leurs langues et non dans une langue étrangère avec des lois formulées dans une langue étrangère dite officielle. C’est pourquoi, au niveau juridictionnel, des tribunaux traditionnels chargés, de la base jusqu’à une Cour Suprême, de juger certains délits et crimes sur des lois connues du justiciable et dans une langue qu’il maîtrise. Dans le cas de la justice, il s’agit même d’un droit humain élémentaire !


L’on ne devrait donc pas craindre de revoir, s’il le faut, la Constitution en la déclarant intangible, surtout par un Président qui vient lui-même de la réviser !!! Craindre de reconnaître les prérogatives législatives et juridictionnelles aux Rois et Dignitaires traditionnels maintient ces Gardiens des us et coutumes uniquement dans le passé, comme des éléments de musée, et la gouvernance du pays sous les cultures étrangères, celles qui servent le pacte colonial et l’arriération continue de notre patrie.


Rémy

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